Pourquoi existe-t-il des whiskies vieux de 40 ans mais peu ou pas de rhums ?

Vous avez probablement déjà vu à la vente des whiskys notamment écossais vieux de plusieurs décennies, mais certainement moins de rhums aussi âgés. Pourquoi ? La réponse réside dans les conditions de vieillissement, notamment la fameuse part des anges.

Nicolas Malfondet

5/13/20253 min read

Le vieillissement et la part des anges

La "part des anges" désigne la fraction du liquide qui s’évapore annuellement à travers le bois du fût lors de la maturation des spiritueux. En Écosse ou plus généralement en Europe, sous des climats tempérés, la perte annuelle se situe généralement autour de 2 à 3% du volume initial.

Ceci signifie qu’un fût rempli à 200 L durant la première année verra son volume réduit à ~194 L l’année suivante, puis 3% s’en iront à chaque année supplémentaire. Après 40 ans, il reste encore une soixantaine de litres dans la barrique initiale.


En revanche, en climat tropical comme dans les Caraïbes, cette évaporation peut monter jusqu’à 6-8% par an, certains parlent même de 7-10%. Le taux d’évaporation diminue en général après quelques années pour se stabiliser autour de 6% annuels à long terme.

Toujours pour fût de 200 L, cela représente moins d’une douzaine de litres après 40 ans !

Part des anges entre Europe et Caraïbes
Part des anges entre Europe et Caraïbes

Vieillissement tropical vs. continental

Le vieillissement en climat tropical accélère l’extraction des composés aromatiques du bois (vanille, épices, tanins), donnant au rhum des couleurs plus foncées et des arômes plus intenses en quelques années seulement. Il accélère également certaines réactions chimiques comme l’estérification, responsable de la création d’arômes fruités dans les spiritueux.

En climat continental (européen), la maturation se fait plus lentement, favorisant des profils plus subtils et équilibrés. Les variations saisonnières de température aident également à faire pénétrer l’alcool à l’intérieur du bois lors de chaleurs, puis de le faire ressortir lors de températures plus fraiches, ce qui permet une extraction intéressante et un bon mariage des différents éléments aromatiques.

Vieillissement continental et tropical
Vieillissement continental et tropical

Exceptions

Quelques rhums de 40 ans existent tout de même, comme celui sorti en 2024 par Planteray et distillé en 1984 en Jamaïque chez Clarendon. Les stocks de ce genre de rhum sont rarissimes. Seulement 317 flacons ont pu être embouteillés. A noté que sur les 40 ans de vieillissement, les 5 derniers ont eu lieu en climat continental.

Distillé en 1975 en Guyane dans le mythique alambic Port Mourant, le rhum Black Tot Rare Old Demerara a lui aussi vieilli 40 ans avant de pouvoir se décliner en seulement 606 bouteilles issus de 6 fûts.

En outre, l’ouillage (technique qui consiste à compléter le volume manquant d’un fût avec un spiritueux de même âge) est couramment pratiqué dans les distilleries. Plus un fût est vide, plus son évaporation sera élevée : les producteurs ont donc tout intérêt à ce qu’ils soient remplis au maximum pour limiter les pertes. Les vieux rhums ci-dessus ont probablement bénéficié de cette méthode pour leur permettre de survivre au temps qui passe et à ces anges chapardeurs !

Part des anges
Part des anges

Conclusion

Si les whiskies peuvent facilement atteindre 40 ans de fût grâce à un climat tempéré et à un suivi rigoureux des stocks, les rhums sont soumis à une évaporation deux à quatre fois plus élevée qui en limite drastiquement le potentiel de longs vieillissements.

Les rares exceptions deviennent pièces de musée ou curiosités pour amateurs fortunés, tandis que le marché se concentre sur des rhums de 15 à 25 ans, plus viables économiquement et gustativement.

Et il n’est pas nécessaire qu’un rhum mature durant 4 décennies pour être fabuleux, en témoigne le légendaire Special Reserve de Wray & Nephew, vieux de "seulement" 15 ans.

Special Reserve Wray & Nephew
Special Reserve Wray & Nephew